J'ai attendu quelques jours avant d'aller chercher le vélo.
Je suis d'abord allée à la piscine. Je pensais que j'allais pleurer en nageant.
Et pourtant non. Je ne suis ni triste ni heureuse quand je nage. Je ne pense qu'à la longueur que je suis en train de parcourir. C'est étrange, parce qu'à la piscine où j'allais enfant, il y a avait un plongeoir de trois mètres. Combien de temps dure la chute ? Deux, trois secondes peut-être. Et je pensais à énormément de choses en sautant. Le temps que mes pieds touchent l'eau du bassin, j'avais revu la journée de la veille, réfléchi à ce que je ferais le soir ou le lendemain, pensé à la rentrée des classes. Et là, je nage une longueur en plus d'une minute et je ne pense à rien. Seul un nombre me remplit la tête le temps de la longueur. Puis un autre, puis encore un autre.
À quoi donc a pensé Linda pendant sa chute ?
Je me suis ensuite promenée entre les tours de Beaugrenelle.
Il y a des fleurs qui ressemblent à celles qu'il y avait chez ma grand-mère.
Et je suis partie en métro chercher le vélo.

Je l'ai trouvé facilement. Je l'ai détaché et je suis partie avec.
Je n'ai pas cherché à voir mes amis.
C'était très étrange de rouler avec.
En arrivant dans la rue de Rivoli, je suis descendue du vélo et je l'ai poussé sur le trottoir. Il faisait un temps splendide et le soleil commençait à se coucher. Au loin je voyais le quartier de la Défense, mais ce qui m'a frappée, c'est la lumière qui traversait les vitraux de la Tour Saint-Jacques. On aurait dit un décor de théâtre d'ombres baignant dans une lumière orange.
C'était magnifique.
Étais-je la seule à le voir ?
Rien ne montrait que Linda était morte.
Les gens marchaient, téléphonaient, discutaient, fumaient, conduisaient.
Ils vivaient.
Le soleil brillait, la terre tournait, le vent soufflait et la vie continuait, sans but et sans raison, sans s'être arrêtée et sans qu'elle n'ait eu à reprendre son souffle ne serait-ce qu'une seule seconde.
C'est là que j'ai pleuré.
Un mec m'a dit : "Alors, tu t'es fait plaquer ?
 – Non, mon amie est morte."
Je ne suis pas habituée à dire cette phrase. D'ailleurs, c'est la première fois que je la prononçais.
Je n'y ai pas mis le bon ton. Je m'en rendais compte au fur et à mesure que les mots sortaient de ma bouche.
Je l'ai dit comme si on m'avait proposé un flan et que j'aurais répondu : "Non, je préfère une part de tarte."
Linda était morte, j'en voulais à la Terre de ne pas avoir montré la moindre tristesse du suicide de mon amie alors que j'en parlais comme d'un morceau de gâteau.
Le garçon a été surpris, il a juste répondu : "Ah bon ? Bon courage alors."
Et il est parti.
J'ai continué à pleurer en marchant. Je ne voyais rien autour de moi, j'avançais comme j'avais l'habitude de le faire.
Ça me consolait de pouvoir m'appuyer sur le vélo.
La nuit suivante, j'ai rêvé de Linda.
De ma fenêtre, je la voyais passer en tombant. Je ne l'entendais jamais s'écraser.
Comme si elle repartait toujours d'en haut.
À chaque passage, elle me regardait d'une manière différente, parfois en souriant, parfois sérieuse, parfois avec une grimace.
C'était une surprise à chaque fois. Si bien que j'ai commencé à rire.
Je lui criais comme pour la prévenir : "Linda ! Arrête ! Tu vas mourir !"
Et elle répondait désinvolte :
"Et alors ? Je ne le saurai pas !"
Au passage suivant, elle a ajouté, la tête en bas :
"Ma liberté de mouvement est totale."

Je me suis réveillée en ayant l'impression de tomber.

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